Où Adso admire le portail de l’abbatiale et Guillaume retrouve Ubertin de Casale.

Adage latin, « la peinture est la littérature des laïcs ».

Honorius d’Autun. Mais l’idée fait l’objet de beaucoup de débats scolastiques au Moyen Âge, notamment lors du synode d’Arras en 1205. D’Autun a un point de vue représentatif de son époque : pour lui, la peinture a une triple mission :

  1. embellir la demeure du Seigneur (une église)
  2. remettre en mémoire la vie des saints
  3. procurer de l’agrément aux illettrés

    Il faut considérer que l’immense majorité de la population était incapable de lire (et non de comprendre).
    Sans rentrer dans les détails, on retrouve ici un thème ultra-classique de la rhétorique comme organisation de l’oeuvre artistique : l’oeuvre doit docere (délivrer un enseignement) et placere (plaire par sa forme). Vient s’ajouter à cette mission double de l’oeuvre une distinction entre la beauté en soi (pulchrum) et la beauté comme moyen (aptum).
    Cette idée est reprise en acte ou en parole à de nombreuses reprises, par exemple par Guillaume, dont c’est l’avis : « Les images marginales portent souvent à sourire, mais à des fins d’édification, répond-il. Comme dans les sermons pour toucher l’imagination des foules pieuses il faut insérer des exempla, dont le côté facétieux ne fait nullement défaut, de même le discours des images aussi doit se prêter à ces nugae pour chaque vertu et pour chaque péché il y a un exemple tiré bestiaires, et les animaux se font figure du monde humain. » (1er jour, Après none)

Latin, un « volume », ou plus exactement un « rouleau », de papyrus qui se déroule à l’horizontale. Il existe également des rotulus, qui se déroulent verticalement. Mot latin désignant un manuscrit roulé, prédécesseur du codex, qui, lui, est l’équivalent du livre tel que nous le connaissons aujourd’hui (c’est-à-dire composé d’une succession de pages).

Ni le texte original en italien ni sa traduction en anglais ne font référence à cet endroit à un volumen, mais plutôt à un codex (en fait : libro ou book).
On peut supposer qu’il s’agit d’une petite erreur du traducteur français, car le tympan qu’observe Adso (cf. cet article) laisse bien voir à l’endroit décrit un codex et non un volumen.


Expression latine, que le narrateur traduit lui-même plus bas en « par libre et collective convention ».


Expression ancienne désignant, lato sensu, l’ensemble des biens propres d’une personne. S’agissant de Pierre, Paul, Jérémie et Isaïe, ce terme désigne sûrement les vêtements et les objets qu’ils ont sur eux. Au sens strict, se dit normalement des biens qu’une femme garde en sa possession propre à l’issue de son mariage (par opposition à la dot).


Substantif formé par conversion du participe présent du verbe « trôner » ; « celui qui siège sur un trône », ici le Christ. Cet emploi en substantif est remarquable : l’aspect statique du verbe « trôner » est renforcé par la substantivation, qui neutralise toute forme d’action.


Interlangue originelle de Salvatore Traduction de l’interlangue en français Traduction en français
Penitenziagite! VIDE QUANDO draco VENTURUS EST a rodegarla l’anima tua! La mortz est SUPER NOS! Prega che vene lo papa santo a liberar nos A MALO de todas le peccata! Ah ah, ve piase ista negromanzia de Domini Nostri Iesu Christi! Et anco jois m’es dols e plazer m’es dolors… CAVE el diabolo! SEMPER m’aguaita in qualche canto per adentarme le carcagna. Ma Salvatore NON EST INSIPIENS! BONUM MONASTERIUM, et aqui se magna et se priega DOMINUM NOSTRUM. Et el resto VALET un figo seco. ET AMEN. No? Pénitenziagité ! Voye quand dracon venturus est pour la ronger ton âme ! La mortz est super nos ! Prie que vient le pape saint pour libérer nos a malo de todas les péchés ! Ah ! ah ! vous plaît ista nécromancie de Domini Nostri Iesu Christi ! Et même jois m’es dols et plazer m’es dolors… Cave el diabolo ! Semper il me guette en quelque coin pour me planter les dents dans les talons. Mais Salvatore non est insipiens ! Bonum monasterium, et aqui on baffre et on prie dominum nostrum. Et el reste valet une queue de cerise. Et amen. No ? Faites repentance ! Préparez-vous à l’arrivée du dragon qui doit venir dévorer votre âme ! La mort est sur nous ! Priez que vienne le Saint Père pour nous libérer du mal de tous les péchés ! Ah ! ah ! Elle vous plaît, cette nécromancie de Notre Seigneur Jésus-Christ ! Même la joie est pour moi une peine et le plaisir une douleur… Prenez garde au Diable ! Sans cesse il me surveille à distance dans le but de me mordre les talons. Mais je ne suis pas sot ! Ce monastère est agréable; on y mange et on y prie notre Seigneur. Et le reste ne compte pas plus qu’une figue sèche. Et ainsi soit-il. Non ?

Salvatore parle « toutes les langues, et aucune ». Ses énoncés sont composés de morphèmes empruntés à différentes langues, attestées ou non (latin vulgaire, français, provençal, italien, espagnol, catalan). Notons toutefois que le texte sur lequel nous travaillons est une traduction : l’idiolecte (plus précisément une interlangue) de Salvatore est donc déjà, en français, une traduction.


En latin, « membres épars ».

Ce terme désigne les fragments retrouvés de poésies, de textes, de peintures datant de la période classique ou médiévale. On trouve l’origine de cette expression chez Horace, dans les Satirae : « disiecti membra poetae », « les restes d’un auteur démembré », c’est-à-dire les fragments de son œuvre. La formule a son importance, car elle ressortit de deux problématiques littéraires : celle de la création et celle de la composition. Dans le contexte de l’extrait, le narrateur reconnaît à Salvatore la capacité de s’exprimer, mais lui refuse la maîtrise linguistique sous prétexte qu’il ne crée pas un contenu langagier autonome, mais plutôt qu’il met bout à bout des éléments, des extraits de phrases entendues ou lues ailleurs. La création langagière s’étend dans la suite de l’extrait à la création en filant la métaphore de l’œuvre littéraire comme nourriture.

Le texte d’Horace:

(…) His ego quae nunc,
Olim quae scripsit Lucilius, eripias si
Tempora certa modosque, et quod prius ordine verbum est
Posterius facias, praeponens ultima primis :
Non (ut si silvas, « Postquam Discordia tetra
Belli ferratos postes portasque refregit »)
Invenias etiam disjecti membra poetae.

Ce que Pierre Daru traduit en vers :

Essayez de soumettre à cette épreuve utile
Et les vers que je fais et les vers de Lucile;
Le poète s’éclipse et ne s’y trouve plus.
Au contraire, entendez la Muse d’Ennius :
« Quand de son bras d’airain, si fatal à la terre,
La Discorde eut brisé les portes de la guerre » ;
Détruisez l’harmonie, et renversez les mots,
Vous y verrez toujours un poète en lambeaux.

Voici une autre traduction en vers, celle-ci due à Louis-Vincent Raoul :

Des vers que je compose et de ceux que jadis
Lucile parsema de tant de traits hardis,
Retranchez les repos, la mesure, le nombre,
À peine du poète il restera quelque ombre ;
, Mais que, dans Ennius, « Mars, la hache à la main,
Du temple de Janus brise les gonds d’airain »,
En vain de pareils vers vous romprez l’harmonie ;
Leurs lambeaux garderont l’empreinte du génie.


Expression latine fréquente dans les œuvres de démonstration, « s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes ».

Le reste du texte entre parenthèses (…ou aux choses divines, les diaboliques) pourra peut-être être plus aisément compris si l’on substitue à l’expression latine sa traduction en français, et peut-être plus encore si l’on réécrit l’ensemble de la façon suivante : (s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, ou les choses diaboliques aux choses divines)
Cette expression est tirée des Géorgiques du poète latin Virgile, plus précisément du livre IV, v. 176 (« Le Rucher ») dédié à l’apiculture, à propos de la comparaison qu’il fait entre les travaux des abeilles et ceux du Cyclope, que l’on retrouve aussi chez Ovide sous une forme similaire ; elle est parfois répétée, le plus souvent sur le ton de la plaisanterie, pour s’excuser d’aborder ou de comparer des choses, des faits, des sujets très différents les uns des autres en valeur ou en importance.

Voici une traduction en français de Maurice Rat du texte comportant l’expression en question :

Ainsi, quand les Cyclopes se hâtent de forger les foudres avec des blocs malléables, les uns, armés de soufflets en peau de taureaux, reçoivent et restituent les souffles de l’air; les autres plongent dans un bassin l’airain qui siffle; l’Etna gémit sous le poids des enclumes; eux lèvent de toutes leurs forces et laissent retomber leurs bras en cadence, et, avec la tenaille mordante, tournent et retournent le fer; de même, s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, les abeilles de Cécrops sont tourmentées d’un désir inné d’amasser, chacune dans son emploi. Les plus vieilles sont chargées du soin de la place, de construire les rayons, de façonner les logis dignes de Dédale; les plus jeunes rentrent fatiguées, à la nuit close, les pattes pleines de thym; elles butinent, de çà, de là, sur les arbousiers et les saules glauques et le daphné et le safran rougeâtre et le tilleul onctueux, et les sombres hyacinthes. Souvent aussi, dans leurs courses errantes, elles se brisent les ailes contre des pierres dures, et vont jusqu’à rendre l’âme sous leur fardeau, tant elles aiment les fleurs et sont glorieuses de produire leur miel.


Idiolecte de Salvatore, « Très remarquable frère supérieur ».


Idiolecte de Salvatore, « Jésus s’apprête à venir, et les hommes doivent faire pénitence. Non ? »

Référence à la seconde venue de Christ, qui marquera la fin des temps et le jugement des hommes.


Les Friars Minor, également connus sous le nom de « frères inférieurs », font partie de la branche de l’ordre franciscain qui suit strictement la règle de saint François. La minorité, c’est-à-dire la qualité de celui qui rejette toute forme de domination (intellectuelle ou physique) dans ses relations avec les autres, est en réalité l’une des valeurs fondamentales de l’Ordre franciscain, avec l’humilité et l’itinérance. Guillaume de Baskerville, lui-même franciscain, souhaite savoir si Salvatore a également été franciscain dans le passé, ce qui expliquerait pourquoi il connaît le terme Pénitenziagité, propre aux Dulciniens (un ordre « dissident » de l’Ordre franciscain) et jugé hérétique. Cette hypothèse serait certainement moins difficile à admettre pour Salvatore que son appartenance à l’Ordre des Dulciniens.


Idiolecte de Salvatore, « Je ne comprends pas ».


Formule biblique, « arrière ! », adressée à Pierre.

Marc, 8:31 : Alors il commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffrît beaucoup, qu’il fût rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il fût mis à mort, et qu’il ressuscitât trois jours après. Il leur disait ces choses ouvertement. Et Pierre, l’ayant pris à part, se mit à le reprendre. Mais Jésus, se retournant et regardant ses disciples, réprimanda Pierre, et dit: Arrière de moi, Satan! car tu ne conçois pas les choses de Dieu, tu n’as que des pensées humaines.

StBenedictVadeRetroSatana


Titre d’une œuvre d’Ubertin de Casale (1259-1329?), Arbor vitae crucifixae Jesu, L’arbre de la vie crucifiée de Jésus, parue en 1305. Composé à l’ermitage de l’Alverne (aujourd’hui dans la province d’Arezzo) entre le 9 mars et le 28 septembre 1305, c’est un volumineux traité qui, en cinq livres, expose la vie et la passion du Christ. Dans Paradis XII, Dante fait, par le truchement de Bonaventure, la critique de Ubertino pour sa rigueur excessive dans l’observation de la règle franciscaine.


Les fraticelles sont des dissidents radicaux de la faction dite « spirituelle » au sein de l’ordre franciscain. Ils s’opposent à l’aile conventuelle ou orthodoxe en affirmant leur volonté de pratiquer la pauvreté volontaire selon la règle intangible de saint François. L’appellation « fraticelles » vient de l’italien « fraticelli ».


Titre d’une bulle du pape Boniface VIII, « Pour une protection forte », parue le 22 septembre 1296.


Latin, « Je suis sorti du paradis ».

Cette bulle, l’un des aboutissements du Concile de Vienne (en séance d’octobre 1311 à mai 1312), fut publiée par le pape Clément V le 6 mai 1312. Elle commence par définir les trois vœux de la règle franciscaine : chasteté, pauvreté et obéissance à Dieu. Elle aborde le traitement de questions telles que les habits, les chaussures, la prédication, le jeûne, etc. Elle enjoint aux Franciscains de ne pas accepter de recevoir en aumônes plus que ce dont ils ont besoin et énumère les dérives à l’encontre de l’esprit de pauvreté, par exemple de vastes propriétés immobilières, un mobilier trop riche, etc. Le texte se concluait par la demande que les groupes en conflit au sein de l’ordre franciscain cohabitent en paix et qu’aucune des parties (les Spirituels qui défendaient l’interprétation la plus stricte de la pauvreté ou les Conventuels qui adoptaient une position plus souple) ne traite l’autre d’hérétique.


Latin, « qui a parcouru le monde en vagabond ».


Latin, « Au fondateur de l’ordre ».

Cette bulle, émise par Jean XXII le 8 décembre 1322, était en opposition directe avec le chapitre franciscain de Pérouse. Jean rejette le simple usus facti (usage de fait, voir l’entrée du prologue) et donne aux Franciscains, contre leur gré, la possession des choses qu’ils utilisaient. Cette référence réapparaît plus tard dans le roman.

Le Moyen Âge franciscain : le problème interne à l’organisation de l’ordre, et qui s’impose tout de suite, consiste en la difficulté pour ses membres d’être volontairement pauvres. Les frères veulent le demeurer, mais tout se ligue pour les en empêcher, et d’abord la nécessité d’asseoir leur propre expansion. Autre est la condition économique de la demi-douzaine de premiers compagnons, autre celle d’un grand ordre, adoptant des structures cléricales puis une institution quasi monastique, et sans cesse sollicité de créer des fondations nouvelles, de l’Angleterre à la Syrie et de la Pologne au Portugal. François est mort en 1226, marqué miraculeusement en son corps par des plaies semblables à celles du Christ crucifié. Dès 1230 apparaît, avec la bulle Quo elongati, le premier essai de solution du problème de la pauvreté, solution qui est aussi la première brèche ouverte dans une conception absolue de cet idéal ; la bulle prend en considération l’enchaînement des fictions juridiques sur le propriétaire réel des biens meubles et immeubles dont les frères sont usagers. On aboutit ainsi, sous le pontificat de Jean XXII, en 1322, avec la bulle Ad conditorem, à l’institution d’un système de personnes interposées entre les frères et les propriétaires, qui réduit à rien l’idéal initial. Les frères restent à l’écart de bien des préoccupations financières ou économiques, tout en étant à l’extérieur parfaitement « à l’aise », en vivant de mendicité presque exclusive et en organisant des secours pour subvenir à la misère des plus pauvres (monts-de-piété). (Willibrord-Christiaan VAN DIJK, « FRANCISCAINS », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 14 août 2021.)


Latin, « (frères) de l’esprit de la liberté ». Nom d’une congrégation religieuse médiévale.


Latin, « L’homme nu gisait auprès de la femme nue » Genèse 2:25


Latin, « Et ils ne s’unirent pas l’un à l’autre ». Genèse 2:25


Latin, « bois de vie », qui provient par conséquent de l’arbre de vie, l’arbre mystérieux qui trône au milieu du jardin d’Éden et dont les fruits confèrent l’immortalité. À ne pas confondre avec l’arbre de la connaissance du bien et du mal, dont les fruits sont proscrits par Dieu aux hommes. Voir Genèse 2:4.
Texte de Saint Bonaventure (1221-1274) qui a inspiré Ubertino pour son Arbor Vitae.


En latin En français
Quorum primus seraphico calculo purgatus et ardore celico inflammatus totum incendere videbatur. Secundus vero verbo predicationis fecundus super mundi tenebras clarius radiavit dont le premier (Saint François), purifié par une pierre séraphique et enflammé par une ardeur céleste, semblait enflammer le monde entier. Mais le second (saint Dominique), fécond de la parole de la prédication, brillait de tous ses feux au-dessus des ténèbres du monde

Extrait de Arbor vitae crucifixae de Ubertino da Bagnoregio. Cette citation est tronquée.

Latin, « la mort est le repos du voyageur, elle est la fin de toute peine ».